Le travail du clinicien est totalement modulé par le courant théorique qu’il utilise pour aborder les troubles mentaux. On fait le choix du courant selon sa croyance. La formation universitaire est un élément important dans le choix du courant ainsi que l’environnement scientifique du clinicien et de son parcours personnel. Ce choix est nécessaire afin d’avoir une démarche cohérente. Mais on peut s’informer des avancées des autres courants et juger de l’intérêt de ceux-ci.

Aujourd’hui, on tend à intégrer ces modèles entre eux. On considère que l’avenir du courant issu de la génétique ou celui issu des neurosciences n’est possible que s’il est en mesure de prendre en compte, dans son analyse, des facteurs d’origine psychologique et sociale comme étant des facteurs intervenant, et quelques fois affectant la neurotransmission ou l’expression génétique du comportement.

Le courant cognitiviste, en psychopathologie, intègre dans son analyse et dans son explication des troubles mentaux un organe censé être à l’origine du fonctionnement cognitif, le cerveau.
 

Le courant psychanalytique
 

C’est un modèle majeur des explications des troubles mentaux, le plus ancien modèle explicatif de la psychopathologie.

Il concerne essentiellement la théorie freudienne. Freud a développé un système de compréhension, d’explication et de prise en charge des troubles mentaux qui, à l’origine, s’adressait avant tout à des patients névrotiques. Ce modèle a été développé par ses successeurs (ex Lacan) à d’autres types de pathologies comme les troubles psychotiques.

La théorie élaborée par Freud repose sur l’élaboration d’une métapsychologie qui a pris deux formes :

  1. - la première topique : conscient, préconscient, inconscient
  2. - la deuxième topique : ça, moi, surmoi

L’explication des phénomènes psychopathologiques fournie par cette théorie repose sur l’interprétation d’évènements vécus pendant l’enfance. ces évènements peuvent ressurgir à d’autres périodes du développement sous des formes variées telles que les lapsus, les rêves, les actes manqués. D’autres manifestations sont les symptômes, ce à quoi va s’attacher le psychanalyste pour expliquer ces phénomènes concernant la dimension inconsciente, c’est à dire la signification cachée.

Cette manière de concevoir le psychisme humain et ses dysfonctionnements a conduit Freud a l’élaboration de la cure psychanalytique qui repose sur deux principes fondamentaux : la règle de la libre association et l’élaboration d’un transfert.

La cure psychanalytique a fait l’objet d’un certain nombre d’aménagement thérapeutiques afin que cette technique de prise en charge soit proposée à des patients autres que hystériques. En effet, au début de sa mise en place, la cure analytique était proposée uniquement à des personnes hystériques. Elle a été aménagée pour les psychotiques, les dépressifs, les patients ayant des troubles anxieux, pour qui la cure ne peut pas durer 10 ans. Ces techniques sont les thérapies d’inspiration psychanalytique. Les principaux aménagements ont été la suppression du divan, la situation de face à face, le thérapeute est plus intervenant (en effet, le silence peut angoisser certains patients).
 

Le courant cognitiviste
 

C’est un courant plus récent, qui se développe de plus en plus. Il a pris ses racines dans la théorie comportemental, béhavioriste (en référence aux travaux sur le conditionnement classique, de Pavlov et opérant, de Skinner). Il s’est développé dans les années 40, en psychopathologie, quand certains auteurs se sont rendus compte de l’insuffisance du modèle analytique. Ils se sont appuyés sur les travaux réalisés notamment par Pavlov pour expliquer les comportements anxieux (notamment phobiques). Ils s’appuient sur le modèle S → R, à savoir que le comportement pathologique ( R) est déclenché par un stimulus particulier (S).

Une évolution de ce modèle a eu lieu dans les années 60 aux états unis. En effet, on ne parle plus de modèle comportemental mais du niveau cognitivo-comportemental. Les cognitivistes ont ajouté un niveau d’analyse supplémentaire, celui de la cognition.

Cognition → Cerveau ↓ ↓ S → R

L’être humain est assimilé à un système de traitement de l’information.

De manière plus récente, l’étude de la cognition s’est enrichie des apports de la neuroscience en s’intéressant à l’organe qui sous tend les processus cognitifs, le cerveau.

Ce modèle cognitif de la psychopathologie a été élaboré pour la première fois par Beck. Concernant par exemple la dépression, dans ce modèle, on suppose que le patient déprimé présente des erreurs dans le traitement de l’information, erreurs qui entraient chez le patient une vision négative de lui même, du monde environnant et du futur.

Contrairement à l’approche psychanalytique, la thérapie comportementale a pour objectif d’éliminer d’emblée les symptômes présentés par le patient. Le thérapeute va agir à trois niveaux :

  • le comportement : le plus souvent, à l’aide des méthodes développées par le modèle comportemental (techniques basées sur l’apprentissage)
  • la modification de la pensée, du fonctionnement cognitif avec, pour objectif, d’apprendre au patient à construire des interprétations alternatives en références aux évènements qu’il vit.
  • Le niveau émotionnel en modifiant les deux paramètres ci-dessus, cela entraîne des modifications au niveau des émotions.
     

Le modèle familial, systémique
 

Ce modèle a une origine anglo-saxone. Dans les années 50, Bateson réalise des travaux sur l’analyse systémique des troubles schizophréniques. L’originalité de ce modèle concerne le niveau d’analyse auquel il s’intéresse. dans ce modèle, l’analyse de la pathologie ne se fait plus uniquement à partir de l’observation du patient (et, du fait de la description de ses symptômes) mais elle se fait aussi autour d’une modalité de communication et d’interaction qui structure la cellule familiale dans laquelle le patient évolue.

Ce modèle considère que le patient est victime d’un système familial qui est pathologique. Il met l’accent sur le rôle de l’environnement réduit à l’étude du système familial dans le développement des troubles mentaux. Dans ce modèle, le facteur clé du développement d’une pathologie est le système de communication, d’interaction entre les membres d’une même famille.

Les travaux réalisés par Baterson et ses successeurs (école de Palo-Alto) prennent appui sur la théorie de la communication dont les trois principes intéressants dans l’analyse des pathologies mentales sont :

  • - Prendre en compte la communication digitale et la communication analogique (communication verbale et non verbale)
  • - il est impossible de ne pas communiquer. Dans une situation de communication, même le silence a une valeur significative, interprétative pour l’interlocuteur. il est chargé d’un sens plus ou moins explicite dont l’interprétation va être laissée à celui à qui il s’adresse.
  • - la méta communication : il s’agit de la capacité de communiquer sur la communication. Elle va être plus souvent sollicitée dans des conditions particulières d’interaction où on va détecter une ambiguïté. Celle-ci est souvent relative à l’intention communicative du locuteur. On utilise cette capacité de méta communication quand on a des doutes sur ce que l’autre veut dire. C’est un concept important car selon Baterson, quand cette méta communication dysfonctionne, les patients n’ont pas la capacité de tenir un discours cohérent, logique voire compréhensible. Ce serait le cas des patients schizophrènes.

Ce modèle est à l’origine de la création des thérapies familiales. Elles ont comme particularités d’être des thérapies qui nécessitent l’intervention de la famille (au sens personnes vivant sous un même toit). Le modèle s’est élargi aux conduites addictives, des troubles des conduites alimentaires et leur prise en charge.
 

Le modèle neuropsychologique, neurobiologique
 

Ce modèle s’inscrit dans la tradition cognitiviste. Sa particularité est de s’intéresser au fonctionnement cérébral en lien avec la mise en place de processus cognitifs. On peut décrire deux tendances liées à l’élaboration de deux techniques d’investigation du fonctionnement cérébral :

  • la neuropsychologie comportementale
  • la neuropsychologie cognitive
     

La neuropsychologie comportementale
 

On va s’intéresser indirectement au fonctionnement du cerveau car on va inférer l’existence d’un éventuel dysfonctionnement cérébral à partir des seules performances cognitives du patient. On suppose que certaines épreuves vont étudier telle ou telle région cérébrale. Par exemple, on suppose que le test du Wisconsin met en jeu le cortex cérébral préfrontal. On analyse le fonctionnement cérébral à partir de l’analyse des réponses du sujet.
 

La neuropsychologie cognitive
 

Elle s’intéresse directement au cerveau en utilisant des techniques élaborées dans le champ des neurosciences : IRM, IRMf, TEP, PE… L’une des dernières démarches fut d’analyser la structure de cerveaux de patients porteurs d’une pathologie psychiatrique. Dans les années, 70, l’hypothèse qui dominait pour la schizophrénie était celle de lésions dans le cortex préfrontal. Elle fut vérifiée par les études post-mortem.

La démarche anatomique fut abandonnée au profit d’une démarche fonctionnelle où l’idée est d’étudier le fonctionnement du cerveau alors que le sujet est en train de réaliser un travail cognitif. Si on suppose par exemple une altération de la mémoire dans la dépression, on va, au cours d’une IRMf, demander à des sujets déprimés de réaliser une tache de mémoire. On va regarder quelles sont les zones cérébrales qui s’activent en réponse à la mise en place de certains processus cognitifs. Ces activations devraient être moins importantes chez des patients présentant des déficits mnésiques.

Les principales pathologies étudiées sous cet angle sont la schizophrénie, les pathologies dépressives, les troubles des conduites alimentaires et les troubles obsessionnels compulsifs. Des études récentes ont montré chez des patients présentant des troubles obsessionnels compulsifs une augmentation de l’activité cérébrale au niveau de certaines zones du cortex frontal. Il a été décrit chez des patients ayant subi une ablation d’une tumeur cérébrale localisée au niveau du cortex frontal l’apparition de TOC.

Ce modèle comporte cependant quelques limites :

  • il demande l’utilisation de techniques qui peuvent être invasives par rapport aux autres modèles
  • les techniques de prises en charge en lien avec ce modèle en sont au stade expérimental
  • enfin, par rapport aux études en imagerie, rien ne permet de dire que le dysfonctionnement cérébral observé est la cause du trouble psychologique. On pourrait très bien imaginer que, pour s’adapter aux symptômes, le cerveau verrait son activité cérébrale se modifier et non l’inverse (une modification cérébrale provoque l’apparition des symptômes).
     

Le modèle biologique
 

Ici, on va d’avantage s’intéresser au rôle des modifications de la transmission nerveuse au niveau des neuromédiateurs dans la survenue de pathologies mentales. A ce jour, les deux neurotransmetteurs qui ont fait l’objet de beaucoup de travaux sont la sérotonine et la dopamine. Ils sont largement cités dans la survenue de troubles de l’humeur, de la schizophrénie, de troubles obsessionnels compulsifs et des troubles des conduites alimentaires. Ce modèle s’est surtout développé à partir des années 50, à partir du moment où on a disposé de traitement médicamenteux avec des psychotropes. L’objectif de ce modèle est d’expliquer l’action de ces médicaments, en supposant que les symptômes des pathologies sont sous tendus par des dysfonctionnement d’origine biologique.
 

Le modèle génétique
 

Il s’appuie sur un constat en psychopathologie qui est que l’on observe souvent une constellation familiale des mêmes troubles ou des troubles apparentés.

En terme statistique, quand un individu est apparenté à un patient schizophrène ou déprimé, il a plus de risque qu’un sujet non apparenté de développer un trouble similaire ou très proche. Cette probabilité statistique est appelée en psychopathologie un taux de concordance. Il va être analyser à partir des constellations familiales, surtout à partir des études sur des jumeaux (monozygotes et hétérozygotes).

La question posée par ce modèle est de déterminer le poids de la transmission génétique et celui des facteurs environnementaux. Il faut en effet garder à l’esprit que deux individus apparentés sur le plan biologique partagent en plus de leur patrimoine génétique un patrimoine environnemental. Les expériences qui étudient le poids génétique concernent les jumeaux monozygotes (même patrimoine génétique) adoptés (environnement différent, mais là encore, on peut supposer que leur famille d’adoption ne sont pas choisies au hasard et qu’elles partagent certaines similarités comme le niveau de vie).

A l’heure actuelle, on ne connaît aucun trouble dont la cause serait purement génétique. On ne connaît aucun gène responsable d’un trouble mental particulier. Pour que l’origine d’un trouble mental soit considérée comme génétique, il faudrait un taux de concordance de 100% chez des jumeaux monozygotes, ce qui n’a pas été observé. Le seul résultat qui revient dans les études concerne l’augmentation du taux de concordance en fonction de la proximité du lien de parenté entretenu avec le patient atteint d’un trouble mental. Ces taux diffèrent selon la pathologie mise en cause. On a montré un taux de concordance plus élevé dans l’autisme (où on suppose l’implication de 4 ou 5 gènes particuliers) que dans les troubles de l’humeur par exemple.

Le modèle génétique actuel propose de travailler sur les interactions gènes – environnement. Plutôt que de penser que l’on hérite d’une pathologie mentale, les modèles génétiques supposent l’héritage d’une vulnérabilité qui, sous l’effet de certains événements, va pouvoir engendrer la survenue d’un trouble mental. Une pathologie va survenir qu’à condition que le sujet rencontre un événement stressant, révélateur de cette vulnérabilité. D’autres modèles toujours génétiques supposent qu’une dotation génétique particulière peut augmenter la probabilité qu’à un individu de rencontrer des événements stressants qui vont eux mêmes avoir comme effet de révéler cette vulnérabilité.

L’idée actuelle est de proposer une lecture intégrative des troubles mentaux qui prend appui sur les principaux modèles explicatifs et qui serait bio-psycho-sociale. Adopter une telle démarche, c’est se démarquer des modèles écologiques pour adopter une démarche étiopathologique (modèles qui ne s’intéressent pas au « pourquoi » des troubles mais au « comment ». l’objectif est de préciser les mécanismes qui seraient à l’origine du développement de symptômes chez un individu.

 

Marlène FOUCHEY, psychologue à Meyzieu, 69330 (agglomération Lyon)